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Urban farming : l'agriculture sens dessus-dessous

Dernière mise à jour : 20 nov. 2020


À la fin XIXe siècle, les jardiniers-maraîchers parisiens assuraient l’autosuffisance en légumes de la capitale grâce à des techniques de production intensive et sans engrais chimiques. C’est ce savoir-faire et cet héritage oublié que les villes redécouvrent aujourd’hui. L’ambition n’est certes plus à l’autosuffisance, mais à une production de proxi- mité, raisonnée et vertueuse, qui participe au retour de la biodiversité en milieu urbain, ainsi qu’à la réhabilitation d’espaces délaissés. Suivez notre journaliste sur les toits de l’opéra Bastille... et dans les bas-fonds d’un parking aux abords de la porte de la Chapelle.

 

(Article à lire également dans le nouveau numéro de Décisions durables)


Fin octobre. C’est l’été indien à Paris et je profite des chauds rayons de soleil en attendant Maeva Pesenti de la startup Topager devant l’entrée du personnel de l’Opéra Bastille. Le long de la façade, je remarque des plantes qui commencent à grimper sur les murs. Sans doute les plants de houblon qui alimenteront la future microbrasserie de l’Opéra, complément du projet porté par Topager. Maeva me rejoint, nous attendons quelques instants un chercheur du Museum national d’histoire naturelle (MNHN) qui doit également participer à la visite, et direction les toits de l’Opéra. «C’est vraiment une ville dans la ville », me dit Maeva, « avec huit étages de hauteur et quasiment la même chose en sous-sol ». Alors que nous accédons aux toits, j’entends une voix dans les haut-parleurs inviter les musiciens à rejoindre la scène pour une répétition. « On dit que la musique classique favorise le développement des plantes », fais-je remarquer à Maeva. « Oui, de nombreuses études l’ont prouvé », me confirme-t-elle. « Et puis pour nous aussi, c’est agréable d’entendre cette musique pendant que nous jardinons. »


Ferme urbaine de topager sur le toit de l'opéra Bastille à Paris

Pollution

L’exploitation de Topager est divisée en trois terrasses. Sur la première, ex- posée au vent, poussent des cultures basses : plantes aromatiques, jeunes pousses, radis noirs, salades... La vue à 360° sur la capitale est à couper le souffle, même si, au loin, les tours de la Défense se devinent à peine derrière le voile de pollution. Cette pollution d’ailleurs, est-ce un problème pour l’agriculture urbaine ? Pas vraiment selon Maeva. Tout d’abord parce que la localisation sur les toits permet de se situer dans une zone intermédiaire entre les métaux lourds qui stagnent plus proche du sol et la pollution atmosphérique qui se situe plus haut. « Et puis les études qui ont été menées montrent que nous nous situons bien en deçà des seuils autorisés. Nous sommes de plus sur des temps de culture courts, où le polluant n’a pas vraiment le temps de s’installer. »


Mieux que Bio

En revanche les cultures ne peuvent pas prétendre à la labellisation bio car elles sont hors-sol. Une rigidité réglementaire qui mériterait d’être levée, car comme me le confie Maeva, « nous faisons mieux que bio ! Dans le sens où, étant hors sol, nous nous devons d’être encore plus vertueux. Les traitements au soufre (bouillie bordelaise) ou au cuivre, autorisés dans la culture bio, ne sont pas possibles, car les concentrations seraient vite trop fortes. Nous travaillons donc sur des traitements qui visent à renforcer la plante pour lui permettre de mieux résister, avec un bio-contrôle des ravageurs en veillant à ce que leurs prédateurs fassent le travail. Et puis nous avons un plan de culture très complexe, avec beaucoup de rotations pour ne pas laisser une maladie s’installer. » Topager travaille en étroite relation avec des instituts de recherche pour suivre et améliorer ses pratiques.


Les cultures de Topager à l'Opéra Bastille avec vue sur Paris

Retour de la vie«Ce qui me fait le plus plaisir, me dit Maeva, c’est de voir les oiseaux, les coccinelles, les abeilles, bref toute une biodiversité réinvestir les lieux. Dès qu’on réintroduit de la vie, c’est tout un cercle vertueux qui s’enchaîne. » Le chercheur qui nous accompagne vient corroborer ces propos en nous montrant, sous une feuille, des pucerons dont certains sont gonflés et un peu blancs. « C’est une guêpe parasite qui a pondu à l’intérieur. La larve se développe au sein du puceron avant de prendre son envol. C’est ce qu’on appelle des auxiliaires de culture. Et ce sont eux que l’on tue en premier avec les insecticides. »


Défi économique

Mais le vrai défi est moins technique qu’économique. Maeva ne cache pas que Topager cherche encore son business model pour accéder à la rentabilité. Sans compter que la main-d’œuvre est bien plus chère qu’en milieu rural. La startup propose, pour un abonnement de 10 € par semaine, des paniers hebdomadaires aux salariés de l’Opéra et écoule également une partie de sa production aux restaurants alentour. « On ne pourra jamais tout produire ou prétendre à répondre aux besoins de toute la ville. Mais sur certains produits frais, fragiles et à forte valeur ajoutée il y a un marché à saisir. »


Ferme urbaine de Topager sur le toit de l'opéra Bastille. Vue sur le génie de la Bastille

Génie de la Bastille

Nous déambulons dans les allées de l’Opéra pour rejoindre la deuxième terrasse exploitée par Topager. En ouvrant la porte, nous tombons nez à nez avec le Génie de la Bastille qui trône tout en haut de sa colonne. Sur cet espace en arc de cercle, poussent des plants de groseilles ou encore des aromatiques comme la lavande, le thym, l’origan, l’absinthe ou la verveine. « Nous allons également semer sur toute la grande allée centrale pour favoriser le retour des pollinisateurs », précise Maeva.


Jardin d’été

Après les deux premières terrasses battues par les vents, nous arrivons sur le troisième et dernier espace, à fleur de toits, calme et baigné de soleil. Là poussent paisiblement poi- vrons, aubergines, tomates, piments ou haricots, sous l’ombre protectrice d’un effaroucheur qui tient éloignés pigeons et corvidés. « Nous avons eu une très bonne surprise avec cette terrasse. Nous avons planté avec près de 2 mois de retard des plants fatigués par un long trajet... et ça a explosé ! » Topager fait également pousser des variétés locales, et longtemps oubliées. «Cela surprend souvent nos clients quand ils reçoivent leurs paniers. Mais nous leur proposons des idées de recettes pour les aider. »Elle me fait goûter un cucamelon, un petit concombre de la taille d’un cornichon. Goûtu et croquant. « C’est très prisé par les restaurants. » Alors que Maeva part avec le chercheur en quête d’éventuelles punaises invasives au fond du jardin, je fais le plein de vitamine D en prenant le temps de quelques photos avant de partir. Car l'autre ferme urbaine que je m’apprête à aller visiter semble revêtir des aspects bien moins enchanteurs.


Profondeurs

Direction porte de la Chapelle donc, dans le nord de Paris, pour rendre visite à La Caverne, une ferme urbaine souterraine exploitée par la startup Cycloponics, située au troisième sous-sol d’un parking désaffecté. Autre lieu, autre ambiance. Sous la lumière blafarde des néons, de jeunes maraîchères s’affairent autour de bacs d’endives, en se déhanchant au rythme d’une chanson de Céline Dion. Elles m’indiquent qu’Olivier, qui doit me présenter les lieux, m’attend dans son bureau à l’étage supérieur. Je remonte donc la rampe pour le rejoindre avant de redescendre avec lui. «Cet espace était complètement inutilisé. De ce fait, c’était devenu un lieu de prostitution, de trafics, il y a eu plusieurs incendies... Nous avons récupéré les lieux en 2016 et com- mencé la production l’année dernière sur une partie des 3 500 m2 du dernier sous-sol. Et nous avons récemment obtenu l’exploitation des 2 plateaux supérieurs. Mais nous étudions encore ce que nous allons en faire. »


Plantes aromatiques dans la ferme urbaine de cyclopnics, dans un parking désaffecté de la Porte de la Chapelle à Paris.

Hub

Dépositaire d’un tel espace, Cycloponics ne compte pas se l’arroger complètement, mais au contraire créer un hub d’agriculture urbaine pour échanger et partager des problématiques. à titre d’exemple, il me montre les machines de la startup Les Alchimistes qui transforme les déchets générés par la production d’endive en compost pour les particuliers ou les coopératives bio. « Cela devenait un vrai problème pour nous car nous générions beaucoup de ces déchets qui commençaient à affecter la qualité de l’air», me confie Olivier. D’autres sociétés ont également investi les lieux, qu’ils produisent des micro-pousses ou cultivent en aquaponie.


Endives en chambre noire

En tant que rat de ville, je ne suis pas tout à fait certain de comment poussent les endives dans la nature, mais la manière dont elles sont cultivées chez Cycloponics est assez im- pressionnante : dans une pièce froide, entièrement baignée dans le noir, sur de grands plateaux empilés les uns sur les autres, au milieu desquels coule sans discontinuer un filet d’eau. Tout ceci éclairé à la seule lumière de l’application lampe torche du téléphone d’Olivier. Une drôle d’expérience. « Les endives marchent bien », me dit-il, « nous travaillons sur une mécanisation du plantage pour accélérer nos cadences de production. »


Culture de champions chez Cylcoponics, la Caverne, Paris

Pleurotes et shitakés

Nous nous dirigeons vers l’espace dédié aux champignons, derrière une grande bâche transparente qui les conserve au chaud et dans l’humidité. Là, les champignons poussent dans des balles de substrat bio venues de Bretagne et des Pays-Bas. Pleurotes et shitakés s’y développent à vitesse grand V, permettant à Cycloponics de récolter des centaines de kilos par semaine.


Business model

Cycloponics parvient à être rentable avec :

  • un investissement nécessaire plus faible que pour une ferme sur les toits,

  • et en se concentrant sur une gamme restreinte de produits particulièrement adaptée à cette culture souterraine.

Ses clients : essentiellement des amaps et des ruches, mais aussi des restaurants et des épiceries. à terme, en investissant pour contrôler plus finement les paramètres de produc- tion, ils pourraient produire encore davantage, en toute saison, à l’abri des événements naturels. Et pourquoi pas diversifier leur production. « Pour l’heure les technologies LED ne sont pas encore assez performantes pour remplacer le soleil. Nous avons expérimenté avec des tomates : le rendement n’a pas été au rendez-vous, souligne Olivier. Quant à l’aquaponie, elle fonctionne bien sur de petites surfaces, mais est difficilement adaptable à une grande exploitation. » Alors que je monte sur mon scooter, le sac chargé de produits que Maeva et Olivier m’ont donné, je me prends à imaginer sur le chemin une ferme urbaine sur tel ou tel toit, une autre sous cette station de métro. La vie, par interstices, se refait une place dans nos villes.

 
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