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« Pour une sobriété heureuse »

Interview de Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D).

 

Interview parue dans le n°43 de Décisions durables

 

Le Covid est-il le symptôme d’un système économique devenu

dangereux ?

Les épidémies et autres pandémies dramatiques en termes de pertes humaines ne sont pas des phénomènes récents, mais il est scientifiquement avéré que la pression démesurée que nous exerçons sur l’environnement représente un facteur de risque qui favorise ce type d’événements.


Croyez-vous au "monde d’après" ?

« Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ! », disait Jean Monnet. Je crains, hélas, que ce ne soit que par la répétition de crises, avec une augmentation progressive en fréquence et en gravité, que la prise de conscience viendra et que les leviers seront enfin activés. À mon sens, la crise du Covid n’est pas suffisamment grave pour initier une vÉritable rupture. Le monde d’après attendra.


Comment les entreprises peuvent tout de même enclencher cette transition ?

Pour mettre en oeuvre cette transition, je ne vois qu’un seul chemin, celui de l’entreprise contributive. Il s’agit de synchroniser le fonctionnement de l’entreprise avec les limites planétaires : qu’elle séquestre autant de carbone qu’elle en émet, qu’elle nettoie autant d’eau qu’elle en souille… L’entreprise véritablement durable, sera celle qui ne produit plus d’externalités négatives du tout ! Le reste est anecdotique. Il ne s’agit pas simplement de pérorer en exhibant sa démarche RSE. L’alignement de l’entreprise avec une trajectoire climatique conforme avec l’accord de Paris est désormais indispensable si l’on souhaite rester crédible. Il est évident que les entreprises qui ne feront pas évoluer leur modèle d’affaires seront condamnées dans les 5 à 10 ans à venir, et certainement avant pour beaucoup d’entre elles. À l’horizon 2050 il ne faudra plus espérer avoir des business viables si on laisse la planète devenir une étuve.


Sommes-nous collectivement prêts à payer le coût économique d’un Covid tous les deux ans pour réaliser nos objectifs climat ?

Si nous continuons de raisonner avec les paradigmes économiques d’aujourd’hui, il ne pourra pas y avoir d’issue favorable. Il ne s’agit pas d’arrêter de produire et de consommer, nous en avons besoin pour vivre, mais il s’agit d’imaginer un monde dans lequel la création de richesse ne doit plus être synonyme de prédation et de pollution. La décroissance des flux physiques carbonés est inéluctable donc le PIB va se contracter, une nouvelle ère du low-tech et de la frugalité s’ouvre. À noter que le low-tech ne signifie pas retour en arrière, bien au contraire, il n’y a pas plus moderne et fiable qu’une technologie sobre et efficiente ! La bonne nouvelle, c’est que notre civilisation du gaspillage nous laisse des marges de manoeuvres considérables. Et tôt ou tard, il faudra accepter de pouvoir jouir de tout, sans vouloir tout posséder.


Comment faire pour inciter le plus grand nombre à ce changement ?

La question du récit est centrale : pour changer de société, il faudra faire en sorte que le futur promis soit désirable. Quand je suis entré sur le marché du travail, le schéma était clair : augmentations, promotions, grosses voitures… ce n’est clairement plus cela qui fait rêver les jeunes aujourd’hui. Ils veulent un job qui a du sens dans lequel la confiance prime sur la défiance. Il est illusoire d’espérer changer le monde, mais si on arrive à faire renoncer seulement 10 % de la population (parmi les plus riches) au consumérisme prédateur du vivant pour de la sobriété heureuse, il sera possible d’inverser la tendance suicidaire sur laquelle nous nous trouvons. « L’homme » imite ce qui fonctionne, il a toujours fait cela. Nous avons tous les leviers pour nous adapter. Il nous faut nourrir les imaginaires, établir une vision enthousiasmante et faire émerger des leaders charismatiques pour nous guider.

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