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Métaux rares : la face cachée de la transition

Dernière mise à jour : 17 nov. 2020


Face à l’urgence climatique, le monde s’est lancé, tant bien que mal, dans une transition énergétique et numérique, promesse d’un monde plus propre et affranchi des matières premières. Or, on ignore trop souvent que cette transition est aussi et avant tout une transition métallique, avide de matériaux dont le coût écologique a été sous-estimé. Jusqu’à soulever une question : le remède pourrait-il s’avérer pire que le mal ? Au plan géopolitique, à l’image du pétrole et du gaz qui ont conféré un poids important aux pays de l’OPEP dans la deuxième moitié du XXe siècle, ces ressources stratégiques rebattent les cartes des rapports de force internationaux. La Chine est plus que jamais au centre du jeu, avec un leadership qui pourrait menacer les économies et même la souveraineté des pays occidentaux. Les enjeux sont immenses et la prise de conscience tarde à venir. Voici la face cachée de la transition énergétique.


 

(Article à lire également dans le nouveau numéro de Décisions durables)


1. Etat des lieux


Graphite, vanadium, germanium, platinoïdes, tungstène, antimoine, béryllium, fluorine, rhénium, prométhium... Derrière ces noms barbares se cachent ce que l’on appelle les métaux rares : des matériaux aux pro- priétés électroniques, magnétiques, optiques ou catalytiques qui entrent dans la composition de la grande majorité des technologies liées à la transition énergétique et numérique. à ce titre, aux yeux de nombreux obser- vateurs, ces métaux sont ni plus ni moins que le «next oil», le carburant de la troisième révolution industrielle.


Une rareté toute relative...

On appelle ces métaux « rares », en comparaison avec des métaux plus abondants comme le fer ou le cuivre. De fait, comme le souligne Guillaume Pitron, journaliste et auteur de La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique (Éditions Les liens qui libèrent): «le sol recèle en moyenne 1 200 fois moins de néodyme et jusqu’à 2650 fois moins de Gallium que de fer. » Ainsi,« Il faut purifier huit tonnes et demie de roche pour produire un kilo de vanadium, seize tonnes pour un kilo de cérium, cinquante tonnes pour l’équivalent en gallium, et le chiffre ahurissant de mille deux cents tonnes pour un malheureux kilo d’un métal encore plus rare, le lutécium.» Pour autant, contrairement à ce que pourrait laisser suggérer le club très restreint des pays extracteurs (voir infographie n°1), ces métaux sont répartis de manière relativement homo- gène sur l’ensemble du globe. « Loin d’être concentrées dans le sous-sol chinois, les terres rares sont en réalité́ assez répandues dans le monde », confirme Gilles Lepesant, géographe et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « En outre, selon l’United States Geological Survey (USGS), les réserves situées en mer pourraient être équivalentes à toutes les réserves jusque-là découvertes sur terre.»


Infographie ressources et production de terres rares


... mais une extraction quasi monopolistique

Comment expliquer dès lors le quasi- monopole chinois sur ces ressources ? Guillaume Pitron donne des éléments d’explication : « Dans les années 80-90, les Occidentaux et notamment la France étaient leaders dans l’extraction et le raffinage des métaux rares. Mais au vu du coût environnemental de ces activités, nous avons fait le choix collectif de les déléguer à des États miniers, souvent pauvres, qui eux acceptaient de détériorer leur environnement pour gagner gros. Nous avons délocalisé la pollution. » Résultat :

  • la Chine produit 61 % du silicium, 67% du germanium, ou encore 84% du tungstène ;

  • la RD Congo 64% du cobalt ;

  • l’Afrique du Sud 83 % du platine ou de l’iridium ;

  • le Brésil 90 % du niobium.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, celle qui tient toutes les cartes, c’est bien la Chine (cf. infographie n°2). « Elle représente 44 % des réserves, 88 % de l’offre et 58 % de la demande pour les seules terres rares », illustre Gilles Lepesant. D’autant que l’Empire du milieu ne se contente pas de ses exploitations domestiques : en 2016, le groupe chinois Molybdenum a acquis 56% de la mine de Tenke, riche en cobalt et cuivre, en RDC.


Principaux pays producteurs de métaux rares et stratégiques

Transition métallique

Un tel leadership sur les matières premières est problématique pour les Occidentaux, tant elles sont le carburant de la transition énergétique et numérique en cours. On les trouve ainsi dans :

  • les batteries des véhicules électriques et hybrides,

  • les panneaux solaires et les éoliennes,

  • les téléphones, les ordinateurs,

  • les systèmes d’armement, les satellites...

Bref, partout. Et la demande est exponentielle. On estime que pour satisfaire les besoins de l’humanité d’ici 2050, il faudra extraire plus de métaux que l’humanité n’en a extrait dans toute son histoire. Cela vaut tant pour les terres rares que pour les métaux plus abondants : « la notion de criticité pourrait s’appliquer également à certains métaux de base (cuivre, zinc, acier, plomb), tant la demande croît fortement », souligne Gille Lepesant. Et Guillaume Pitron de conclure: «En voulant nous émanciper des énergies fossiles, en basculant d’un ordre ancien vers un monde nouveau, nous sombrons en réalité dans une nouvelle dépendance, plus forte encore. Robotique, intelligence artificielle, hôpital numérique, cyber- sécurité, biotechnologies médicales, objets connectés, nanoélectronique, voitures sans chauffeur... Tous les pans les plus stratégiques des économies du futur, toutes les technologies qui décupleront nos capacités de calcul et moderniseront notre façon de consommer de l’énergie, le moindre de nos gestes quotidiens et même nos grands choix collectifs vont se révéler totalement tributaires des métaux rares. Ces ressources vont devenir le socle élémentaire, tangible, palpable, du XXIe siècle. »



2. Enjeux géopolitiques, industriels et environnementaux


La portée stratégique et l’impact industriel et géopolitique des métaux rares ont longtemps été sous-estimés, aussi bien par les États que par les entreprises. « Nous pensions que dans un monde de commerce libre, nous pourrions toujours avoir accès à la ressource, à condition d’y mettre le prix », explique Guillaume Pitron. Mais nous commençons à voir que la Chine limite ses exportations pour garder la matière en priorité pour ses industriels. De quoi lui donner un avantage décisif sur les technologies de demain.


Un levier de domination économique

En effet, loin de se contenter de la seule commercialisation de la matière première, la Chine a développé toute une chaîne industrielle, de la mine au produit fini. Une position qui lui permet de se tailler une place de leader dans les secteurs des greentechs et du numérique. Pour Gilles Lepesant: « L’ambition de la Chine apparaît moins géopolitique que technologique : s’imposer comme un acteur central grâce à́ une valorisation innovante de ses ressources. Elle développe les secteurs avals afin que l’industrie chinoise des terres rares se traduise par la mise sur le marché́ de biens à forte valeur ajoutée. Dans le même temps, le paysage minier mondial se recompose, avec des pôles de production situés sur différents continents mais où l’on retrouve les entreprises d’État chinoises. » Capable d’influer sur les cours mondiaux, la Chine maintient le coût de ces matériaux à un niveau assez bas pour décourager toute concurrence, tout en continuant de favoriser ses propres intérêts, notamment en attirant les industriels sur son territoire. Captant au passage savoir-faire industriels et brevets en tous genres. «La Chine se nourrit de notre ignorance et de notre ensommeillement », conclut sans ambages Guillaume Pitron. « Notre dépendance originellement canton- née aux ressources, s’est étendue aux technologies. »

Technologies gourmandes en terres et matériaux rares

Un outil de domination géopolitique

Une telle mainmise sur une ressource si stratégique est aussi une incroyable arme diplomatique. La Chine en a déjà fait usage :

  • En 2010, suite à un différend terri- torial avec le Japon à propos des îles Senkaku, Pékin a décrété un embargo sur les métaux rares vers le Japon. Les prix se sont envolés, touchant indirectement l’Europe et les États-Unis. Tant et si bien que Barack Obama avait déposé une plainte auprès de l’OMC.

Depuis, le Japon a annoncé avoir découvert au large de ses côtes un immense gisement de terres rares. Voyons-nous là les prémices des épreuves de force à venir à l’heure où Trump impose une pression commerciale à la Chine ?


Comment regagner en souveraineté ?

Comme nous l’avons vu, le problème n’est pas celui de la disponibilité de la ressource, mais porte sur le coût écologique et économique de son ex- traction. Sans compter l’acceptation sociale de la réouverture de mines, et au-delà de toute une chaîne industrielle, du raffinage au produit fini. Pour Guillaume Pitron, il est temps de sortir de l’hypocrisie : « nous voulons des voitures propres, mais nous ne voulons pas supporter l’extraction du minerai qui les compose parce qu’elle est trop sale. Nous avons laissé les autres se salir pour nous donner l’illusion d’avoir les mains propres. Il est temps de prendre notre part. » D’autant que si nous ne prenons pas l’initiative nous-mêmes, nous pourrions y être forcés par une crise, sans avoir le temps de réfléchir à une politique raisonnée, pérenne et responsable.


La grande illusion

Le vernis « green » de la transition énergétique et les attraits dématérialisés de la révolution numérique nous ont fait croire à un avenir affranchi de la matière et de la pollution. Les métaux rares nous rappellent à la réalité : jamais la matière n’a été aussi importante. Dans un monde qui abritera 10 milliards de personnes à la fin du siècle, toutes voulant consommer des produits numériques et de l’énergie propre, le remède pourrait être pire que le mal. Ainsi, la Banque mondiale estime que ces technologies pour- raient consommer : « significativement plus de ressources que les systèmes traditionnels basés sur les énergies fossiles. »


Une extraction polluante

« En Chine, la production de terres rares a causé de graves dommages à l’environnement notamment en raison de la radioactivité́ du thorium, de l’uranium et du radium. Les rejets en quantité́ de produits toxiques dans l’eau, dans les sols ont également des effets désastreux de mieux en mieux documentés sur la santé des populations locales », note Gilles Lepesant. L’exploitation et le raffinage nécessitent des solvants chimiques, et rejettent dans la nature beaucoup d’eau extrêmement polluée (environ 200 m3 pour une tonne de terre rare). Sans compter les conditions de travail des mineurs, souvent déplorables. « Plusieurs acteurs du secteur informatique ont ainsi revu leur chaîne d’approvisionnement en cobalt après la révélation que des enfants étaient sollicités dans certaines mines du Congo. »


Des besoins énormes

Selon Gilles Lepesant : « la demande en métaux critiques de la part du secteur photovoltaïque pourrait s’accroître de 270% d’ici à 2030. Pour l’énergie éolienne, la demande en dysprosium pourrait augmenter de 660 %, celle de néodyme de 2 200 %. L’essor annoncé de la voiture électrique et de l’énergie éolienne devrait multiplier la demande en dysprosium par 7 et celle en néodyme par 28 d’ici à 2035. » Or les terres rares sont plus difficiles à extraire. à titre d’exemple, il y a 1 000 fois moins de néodyme dans le sol que de fer. Cela signifie donc 1 000 fois plus d’extraction pour un même volume. « Cela revient à extraire 3 grains de sels d’un tourteau de pain », illustre Guillaume Pitron. La seule fabrication d’une puce de 2 grammes implique l’extraction de deux kilos de matériaux.



3. Quelles solutions ?


Pour Guillaume Pitron, tout com- mence par « une prise de conscience de ces problèmes ». Et probablement par la reprise d’une activité minière en France et en Europe, en conformité avec nos normes environnementales. En Décembre 2017, Donald Trump a signé un ordre exécutif pour reprendre la production de ces minerais sur le sol américain. Mais la solution se trouve aussi, sans doute, dans le recyclage ou la substitution de ces matériaux.


Recyclage

Un espoir d’emblée terni par Guillaume Pitron : « à l’heure actuelle, aucun industriel n’a intérêt à recycler le premier gramme de métaux rares. Il est infiniment moins cher de s’en procurer à la mine que de se lancer à l’assaut des poubelles électroniques. Pour des métaux rares tels que l’indium, le germanium, le tantale, le gallium et certaines terres rares, le taux de recyclage varie de zéro à 3 %. » En effet, ces métaux sont en quantité faible et le plus souvent alliés à d’autres matériaux, ce qui rend leur séparation très difficile. De plus, «la volatilité des cours ne garantit pas aux unités de recyclage des conditions de rentabilité suffisantes », souligne Gilles Lepesant. Pourtant la ressource est là et demande à être traitée: selon l’Université́ des Nations unies (UNU), la quantité de DEEE (Déchets d’équipements électriques et électroniques) pourrait atteindre 50 millions de tonnes dès 2018. En 2050, 60 à 78 millions de tonnes de déchets de panneaux photovoltaïques devraient être disponibles. Certains com- mencent à s’atteler au problème :

  • le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) a lancé EXTRADE, un projet qui a pour objectif de déve- lopper de nouvelles filières de valorisation des aimants permanents à terres rares présents dans les Déchets des Équipements Électriques et Électroniques (D3E) en ciblant 3 types de produits : les disques durs d’ordinateurs, les haut-parleurs des matériels audio et vidéo et les petits moteurs électriques.

  • la start-up Ajelis (issue du CNRS) a développé un matériau capable de capturer des terres rares en solution aqueuse.

Substitution et sobriété

« La volatilité des cours a conduit les industriels à rechercher des solutions de substitution ou du moins à réduire la quantité de matériaux critiques dans leurs installations », révèle Gilles Lepesant. Ainsi :

  • Les moteurs à induction de Tesla n’ont pas recours à ces matériaux. Idem pour les moteurs électriques de Renault ;

  • Nissan est parvenu à réduire de 40% la quantité de dysprosium utilisée ;

  • Siemens s’est fixé pour objectif de les éliminer dans ses éoliennes ;

  • Toshiba a mis au point des aimants dépourvus de terres rares ;

  • pour les portables, la technologie NMC, moins riche en Cobalt, progresse.

Mais force est de constater que nous ne sommes qu’au début du chemin et qu’il n’existe pas, pour l’heure, de solution miracle. Il faudra travailler à une vraie réflexion d’écoconception et d’économie circulaire pour ces produits, alliée à d’importants investissements en R&D pour déverrouiller les freins. Bref, il est urgent de concevoir une vraie stratégie industrielle.


Changement de civilisation

« Peut-il y avoir un saut technologique sans saut de conscience ? » s’interroge Guillaume Pitron. « La technologie ne va pas nous sauver. Nous devons sortir de cette illusion, regarder la transition énergétique avec les yeux grands ouverts. Il faut repenser la manière dont nous consommons, accepter de payer plus cher des produits plus propres, embrasser la sobriété. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une révolution civilisationnelle. » Et de conclure, citant Einstein : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. »


 

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