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Les Hyper Voisins : un village dans la ville

Dernière mise à jour : 17 nov. 2020

Comment créer du lien dans une mégalopole dont le dynamisme économique et culturel n’a d’égal que l’indifférence qui règne entre ses habitants ? La convivialité peut-elle être un facteur de mieux-vivre en ville et d’une meilleure gestion du territoire ? Et si avant de parler de smart city on essayait de générer des smart people ? Les Hyper Voisins est une association de quartier, proche du parc Montsouris dans le XIVe arrondissement de Paris. Depuis 2017, elle mobilise ses habitants pour créer un véritable laboratoire de l’action citoyenne de proximité. Avec une conviction : la ville de demain ne pourra pas seulement être smart ou verte. Elle sera hyper locale et humaine.

 

Article paru dans le numéro 42 de Décisions durables

 

La rue de l’Aude où habite Patrick Bernard, le fondateur des Hyper Voisins, fait partie d’un enchevêtrement de petites rues et impasses à la chaussée pavée, où se mêlent immeubles et petites maisons de ville. C’est calme, on a presque l’impression de ne plus être à Paris. « On ne part pas de rien», me dit en riant Patrick Bernard sur le pas de sa porte. L’intérieur est organisé autour d’un patio où se trouvent une table et un hamac. « C’est en quelque sorte le QG de l’association», me dit-il. «Par exemple, ce soir, nous faisons l’un de nos apéro-bouffe : chacun ramène à boire et à manger et la maison est ouverte à n’importe qui. Vous avez des anonymes et des gens connus, des chefs d’entreprise et des travailleurs sociaux. Souvent jusqu’à 100 personnes. Et tout le monde se parle ! L’autre jour Cédric Villani a passé la soirée à discuter dans le hamac de ma femme », sourit-il, alors que la préparation du café qu’il m’a proposé, avec capsule en aluminium réutilisable, semble lui donner du fil à retordre. « C’est très bien, mais ils auraient quand même pu trouver un système plus pratique.»


Garden Coty

Genèse

Pratique. Voilà un mot qui correspond bien à Patrick Bernard. On sent qu’il doit avoir mille idées à la minute, mais sans jamais s’éparpiller. Il prend le temps, il analyse, puis il met en place une méthode. Ancien journaliste à Ouest France, il y a ensuite exercé des postes de direction, essayant notamment de préparer le titre à la transformation de la presse papier. « J’ai voulu faire comprendre aux dirigeants qu’il n’y aurait pas d’avenir sans diversification de nos activités et transformation profonde de notre business model. Nous avions une superbe image de marque, il s’agissait de la mettre à profit pour jouer le rôle d’intermédiaire, de tiers de confiance, pour différents services de proximité. En acceptant que si le journal restait absolument central, essentiel car c’est lui qui nous permet de faire tout le reste, il était voué à devenir davantage un poste de coût que de profits. » Son discours n’a pas été complètement entendu, mais ce qui l’a poussé à quitter l’entreprise, cette réflexion sur l’économie immatérielle que constitue la proximité ne l’a pas quittée. «Je l’ai simplement translatée sur mon lieu de vie », résume-t-il. « Tout est parti de cette intuition que la convivialité, la proximité, pouvait être un pilier pour bâtir la ville de demain. Je me suis donné trois ans pour la valider. »


Premiers pas

Après s’être beaucoup documenté et renseigné, Patrick Bernard parle pour la première fois de son idée à quelques voisins en avril 2017. Un cadre global est tracé. La République des Hyper Voisins sera :

  • concentrée sur un territoire de 70 hectares et 53 rues pour une population de 15 000 habitants,

  • apolitique mais empathique et sympathique,

  • un lieu de convivialité, certes, mais surtout de travail pour faire avancer le projet.

« Au départ, le meilleur moyen pour nous faire connaître et générer de l’engouement, était de faire beaucoup d’événements. Dès septembre 2017, nous avons organisé la table de l’Aude, une grande tablée à ciel ouvert dans la rue pour partager un repas tous ensemble. Certains me disaient : “dans ce quartier, vous aurez de la chance si 50 personnes viennent’’. 700 personnes y ont participé la première année et près de 1 000 les deux suivantes. Sous la ville dort un village. Ce n’est pas une création ex nihilo, il s’agit simplement de le désensevelir. »


Le pouvoir des relations sociales

Sont venus ensuite :

  • la Garden Coty, une garden-party avec projection d’un film (OSS 117 l’année dernière, un thème Michel Audiard est en préparation cette année) ;

  • le Carnaval des enfants du quartier pour lequel l’association loue notamment le petit train de Montmartre ;

  • mais aussi l’organisation de disco soupes, l’amorçage d’une démarche Quartier zéro déchet, l’organisation d’une campagne de collecte de petits pots pour le centre d’hébergement du coin...

Aujourd’hui le groupe fermé des Hyper Voisins sur Facebook compte plus de 1 000 membres, dont 80 % sont issus du quartier. Et pour le financement ? Essentiellement de la débrouille, des relations, des coups de main, des partenariats, du mécénat, le buzz de quelques personnalités séduites par le projet... Preuve concrète que les relations sociales et l’empathie peuvent suffire à faire avancer les choses.


Façonner l’espace urbain

Tout village doit avoir sa place. C’est le nouveau projet de l’association qui va réaménager la place des Droits de l’Enfant. «C’est une place qui ne fonctionne pas, coupée par une rue, pas sécurisée, ou personne ne s’arrête. Nous avons organisé un café de village pendant 15 jours afin de demander aux gens comment ils voudraient la transformer. On a fait participer les commerçants, les enfants du groupe scolaire ont fait des maquettes, l’école d’architecture du boulevard Raspail a également travaillé dessus. Puis nous avons identifié des architectes et urbanistes du quartier pour faire des plans 3D et affiner le projet. Et on l’a présenté à la Mairie qui a donné son accord. » Preuve que les citoyens peuvent devenir maître d’ouvrage de l’espace public. Les Hyper Voisins se chargeront, pendant les 12 premiers mois, des activités de la place afin d’en faire un lieu vivant au quotidien. « Il y a encore un cadre juridique à trouver pour pérenniser ce type d’initiative », concède Patrick Bernard, « mais si demain la ville peut dire: “ok vous avez la maîtrise de cet espace, par contre vous prenez en charge l’arrosage et la propreté”, cela va dans le sens de la responsabilisation de chacun et sans doute d’une meilleure efficacité des services de la ville. »


Maison médicale et ami du quartier

Autre projet en gestation : la création d’une maison médicale pour remettre la santé dans la proximité. L’association y travaille avec les professionnels médicaux du quartier et les hôpitaux Necker, Cochin et Saint- Joseph. Ce dernier envisage d’ailleurs d’y installer un service de radiologie. «Un tel centre, ce serait rendre service à la fois à la personne malade, à l’hôpital et à la sécu », résume Patrick Bernard. Mais il s’agit également de structurer la démarche des Hyper Voisins et de trouver un modèle économique. Pour cela, Patrick Bernard veut expérimenter « l’ami du quartier », inspiré de Nassim, le primeur du coin. Il connaît tout le monde, tout le monde le connaît, mais les gens qui le connaissent ne se connaissent pas entre eux. Il s’agit en somme de réussir à faire la base du triangle. Au centre du jeu, et en connaissant toutes les ficelles et tous les acteurs, l’ami du quartier pourra :

  • identifier les retraités qui pourraient faire le pedibus pour accompagner les enfants à l’école le matin ;

  • mettre en relation parents de petits et grands enfants pour des babysittings ;

  • trouver des volontaires pour acheter les médicaments d’une personne âgee immobilisée ou faire ses courses...

  • mais aussi connaître et tisser des liens avec l’ensemble des acteurs et services de la ville et du quartier pour porter des projets.

Patrick Bernard l’envisage comme une formation, « une sorte de MBA en ingénierie sociale ». Une première expérience sera menée sur 4 rues, rassemblant 1 000 habitants avant d’être, il l’espère, déployée dans 300 quartiers à travers Paris. Il envisage ensuite la création d’une « Université des amis du quartier » pour assurer le recrutement, animer le retour d’ex- périence, élaborer une boîte à outils commune... « Ce pourrait être la phase B du projet», se projette Patrick Bernard, qui imagine financer ce dispositif par une sorte de contribution volontaire obligatoire de 2 € par mois. « Mais il faut d’abord faire la preuve des bénéfices que les gens peuvent en tirer ! »


Par la preuve

C’est toute l’ambition qu’avait Patrick Bernard en créant les Hyper Voisins : valider une intuition. Et si possible de manière scientifique. C’est pourquoi il est entré en contact avec un chercheur pour créer un indicateur de convivialité et mesurer son impact sur la vie du territoire. Il y a quelques années déjà, la plus longue étude jamais menée par l’Université d’Harvard, sur une période de 75 ans, avait démontré en suivant l’évolution de la vie de différentes personnes, que la clé du bonheur et de la santé n’est ni l’argent, ni la célébrité mais bien les relations sociales. En attendant l’évaluation concrète de la démarche, je demande à Patrick son ressenti personnel. En guise de réponse, il me raconte l’histoire de Mireille : « Un samedi matin, Mireille, 83 ans, ancienne institutrice, à mi-chemin entre Margareth Tchatcher et tatie Danièle, ouvre la porte du restaurant où nous faisons nos réunions hebdomadaires. Quand ma voisine la voit arriver, elle se prend la tête dans les mains en disant : « oh non pas elle ». C’était le genre de personne qui ne communiquait avec les gens de son immeuble qu’à coups de post-it râleurs. Elle s’assoit, elle écoute, avec un petit air d’inspectrice générale. Et puis elle revient, mais toujours en étant très négative sur les différents projets que nous essayions de bâtir. Plutôt que de nous braquer, nous avons décidé de le prendre à la rigolade en nous moquant gentiment d’elle. Et elle a commencé à se prendre au jeu. Un an et demi plus tard, on ne l’arrête plus sur le groupe Whatsapp alors qu’elle ne comprenait rien à la technologie, elle distribue des flyers, fabrique des banderoles... et tout le monde s’est pris d’affection pour elle.» Nous sommes interrompus par le prochain rendez-vous de Patrick Bernard, la directrice de la résidence du groupe Korian dans le quartier. Elle vient voir comment ils pourraient collaborer, notamment dans le cadre de la maison médicale en projet. Je m’éclipse donc, en donnant rendez-vous à Patrick Bernard le lendemain matin, pour assister à la réunion hebdomadaire des Hyper Voisins.


Fée et têtes blanches

Retour rue de l’Aude, à l’angle de la rue de la Tombe Issoire, au Kaizen, le restaurant thaïlandais où se retrouvent les Hyper Voisins. À l’entrée, je remarque la petite fille de la gérante, déguisée en fée, ce qui rappelle à une des participantes un douloureux souvenir de jeunesse : « À 5 ans, on m’a offert une baguette magique. Quand j’ai compris qu’elle ne marchait pas, ça m’a anéantie. C’est méchant d’offrir une baguette magique qui ne marche pas.» Les réactions ne tardent pas à fuser : « Ah oui, t’étais déjà une chieuse à 5 ans ! », la taquine l’un.  « Moi, on m’a offert récemment de la crème antirides, j’ai trouvé ça très méchant aussi », compatit une autre. L’essentiel du petit groupe de 20 personnes est constitué de femmes et de jeunes retraités. Pas étonnant à cet horaire matinal, peu compatible avec les agendas de parents actifs avec enfants en bas âge. Surtouts’ils étaient déjà à l’hyper apéro de la veille.


Souris vertes

Après un petit état des lieux sur le composteur du bout de la rue qui a été vandalisé pendant la nuit, la réunion commence par les projets de végétalisation. Anne et Julie prennent le leadership sur ce sujet, pour organiser l’opération de jardinage prévue pour le week-end suivant. « Donc tout le groupe souris vertes (groupe des Hyper Voisins dédié à la végétalisation, NDLR), et qui veut donner un coup de main, peut venir nous aider à retourner le terrain. Nous avons vu avec la Mairie et la direction des espaces verts : ils peuvent nous prêter quelques outils. Si certains d’entre vous en ont, n’hésitez pas à les ramener également. » Sont également abordés pêle-mêle : la végétalisation d’un pied d’arbre, les jardins punks, la bombe de graines, les principes de la permaculture, la meilleure technique pour retourner la terre et le retour en grâce de la grelinette. La conversation est vive, riche, s’égare parfois, mais finit par retomber sur ses pieds.


Carnaval

Place à présent aux préparatifs de la deuxième édition du carnaval qui aura lieu les 22 et 25 avril 2020. Après un debrief des qualités et défauts de l’organisation de l’année précédente, le groupe cherche des pistes d’amélioration. Philippe prend la parole : « Je pense qu’il faut davantage impliquer les enfants en amont. Peut-être qu’au lieu de mettre les gros ours en peluche dans le train, on pourrait les mettre quelques jours avant en pension dans les centres de loisirs et les écoles pour que les gamins les personnalisent à leur image. » Il faut également booker la fanfare et le petit train de Montmartre. Une ébauche de retroplanning est actée. « Ah tiens regardez ! », interpelle Patrick en désignant la fenêtre. « Voilà notre nouvel expert-comptable bénévole qui passe », s’amuse-t-il en désignant un homme qui passe sur le trottoir opposé avec sa baguette. Ce coup d’œil à l’extérieur a suscité l’inquiétude chez certains que quelqu’un se gare sur la place de livraison où doit s’installer le pêcheur qui vient chaque week-end vendre en direct sa marchandise aux Hyper Voisins. Ils sortent la réserver avec des chaises du restaurant.


Atelier cuisine

Autre projet en cours : l’installation d’une cuisine sur la place des Droits de l’enfant. Ce projet piloté et animé par les Hyper Voisins a été choisi dans le cadre du Budget participatif. L’idée : créer un atelier culinaire intergénérationnel entre les personnes âgées et les enfants du quartier. Quelle forme choisir pour cette cuisine mobile ? Patrick propose un container maritime sur une remorque, que l’on stockerait sur une place de stationnement à proximité de la place. Une idée qui ne plaît pas à certains, qui ont peur que ce soit « gros et moche ». « Il faut proposer autre chose alors », incite Patrick. « Étant donné nos contraintes, le container me semble un compromis intéressant. On ne va pas s’amuser à le déplacer dans tout Paris à chaque fois qu’on voudra s’en servir. Il faut un permis spécial et nous n’avons pas les moyens de payer un box pour le stocker. » Il faut que l’idée mûrisse. Mais les poissons sont arrivés et la réunion touche à sa fin.


Hélène et Mireille

Avant de partir je me rapproche des membres de l’association pour qu’ils me racontent l’impact qu’elle a eu concrètement sur leur vie : « Depuis que les Hyper Voisins existent, je mets 3 heures pour faire mes courses. Un calvaire ! Mais un calvaire dont je ne peux plus me passer », me confie Hélène. Quant à la fameuse Mireille dont me parlait Patrick plus tôt : « Après une hospitalisation, j’étais immobilisée à mon domicile et j’avais besoin d’eau et de lait. Un message sur notre groupe Whatsapp et en quelques minutes j’avais 3 ou 4 personnes qui se proposaient de m’aider. Et ce n’est pas que pour les vieilles dames ! Plusieurs fois quelqu’un cherchait un médecin généraliste, un dépanneur, une place de parking pour des parents en visite... avec l’entraide, ça se trouve ! C’est une belle chose de pouvoir compter ainsi les uns sur les autres. » Et de me faire part d’une sensation qui l’avait saisie quelques jours plus tôt: «Je m’étais baladée toute la journée dans différents quartiers de Paris et en rentrant chez moi, en montant les marches du métro Alésia, j’ai eu le sentiment de rentrer dans mon petit village. C’est la première fois que j’ai eu ce sentiment, alors que cela fait 20 ans que j’habite ici! J’incite vraiment les autres quartiers à développer ce type d’initiative. Ma fille veut que je me rapproche d’elle, à La Rochelle, mais quitter cette bulle d’amitié que nous avons formée... je crois que je ne suis pas encore prête. »


 
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