Interview de Corinne Le Quéré, climatologue, présidente du Haut Conseil pour le Climat.
Interview parue dans le n°45 de Décisions durables
La climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré préside le Haut Conseil pour le Climat (HCC) depuis sa création en 2019. Cette instance consultative et indépendante a pour mission d’évaluer l’impact climatique de l’action gouvernementale, en ligne avec les engagements de l’Accord de Paris et l’objectif de neutralité carbone en 2050. Le HCC a publié au mois de juillet son rapport annuel 2020. L’occasion de faire le bilan à l’heure où le gouvernement déroule son plan de relance.
Quels sont les objectifs de ce rapport annuel 2020 « Redresser le cap, relancer la transition » ?
Notre rôle est d’évaluer la politique climatique du gouvernement. Ce rapport permet de faire le point sur les avancées réalisées et d’émettre quelques recommandations. Cette année, nous avons particulièrement mis l’accent sur deux thématiques fortes : le rôle des territoires et la transition juste. Enfin, nous ne pouvons ignorer que la crise du Covid rend cette année exceptionnelle. Le plan de relance peut être un levier puissant pour accélérer la transition. Nous émettons des propositions méthodologiques, mais également concrètes et sectorielles en ce sens.
Quels sont les points positifs de l’action climatique de la France ?
Je dirai que les fondations sont saines :
les objectifs sont cohérents avec la trajectoire qui doit nous amener à la neutralité carbone en 2050 dans l’optique de contenir le réchauffement sous les 1,5° ;
la méthodologie mise en place est intéressante, avec une approche systémique, comme en témoigne le Budget vert. La France est le premier pays au monde à se doter d’un outil d’analyse de l’impact environnemental de son budget. Le premier a été dévoilé début octobre et couvre près de 574 milliards d’euros de dépenses ;
enfin la gouvernance est bonne et transparente, comme en témoigne la création d’un organe indépendant tel que le Haut conseil pour le climat. On pourrait aussi citer la Loi énergie climat de novembre 2019 qui introduit, entre autres, la notion d’« urgence écologique », ou l’innovation démocratique que constitue la Convention citoyenne pour le climat.
Et les points négatifs ?
Il est clair que les émissions diminuent trop lentement. Nous sommes actuellement sur une trajectoire de moins de -1 % par an. Il faudrait très vite que nous atteignions les -3 %. Idéalement, nous devrions y être déjà. Si cela n’avance pas assez vite, c’est qu’il doit y avoir, quelque part, une forme de décalage entre les politiques climatiques mises en places, et les autres, plus larges. Le Gouvernement en est conscient. C’est pourquoi il a demandé à tous ses ministres une feuille de route qui détaille la contribution de leurs ministères respectifs aux avancées climatiques. Mais là encore, les choses vont trop lentement. Annoncées en janvier, nous les attendons toujours. Idem pour l’évaluation climatique des grandes lois comme Elan, Egalim, ou LOM, que nous réclamions dans notre rapport de l’année dernière mais qui tarde encore à venir.
Dans cette période de crise, ne craignez-vous pas que les urgences économiques et sociales du moment prennent le dessus sur celles, à plus long terme, du climat ?
Les deux ne sont pas opposées. Dans notre rapport, nous évoquons des mesures immédiates, à la fois bonnes pour l’économie et le climat. Il y en a beaucoup et rien qu’en se focalisant sur celles-ci on peut faire une grande partie du chemin. Par exemple, la rénovation énergétique des bâtiments réduit les émissions, mais aussi la précarité énergétique. Avec les Territoires zéro chômeurs, on a également un dispositif qui permet de sortir les gens de l’inactivité tout en en faisant des acteurs concrets de la transition au plus près des territoires. Les Français et les Françaises sont 91 % à considérer qu’il est urgent d’agir. Il y a donc une vraie attente, même s’ils ne croient plus dans les leviers traditionnels d’action collective pour faire advenir ces changements. Il y a un vrai défi démocratique à relever.
C’est le sens des deux focus que vous faites dans votre rapport sur la transition juste et le rôle des régions ?
Oui. Il faut construire une transition qui répartisse les efforts équitablement entre les différentes composantes de la société. Les Français vont voir les politiques climatiques comme justes ou injustes en fonction d’un certain nombre de valeurs, de normes, de croyances ou de convictions. Tous les points de vue sont légitimes, mais peuvent être rassemblés sous une même exigence : l’équité. La transition juste est une politique climatique qui parvient à générer le consensus le plus large possible autour de cette question. Or, pour ce faire, nous mettons en évidence que les Régions constituent un échelon particulièrement pertinent. Elles peuvent en effet :
mettre en place des dispositifs délibératifs et démocratiques au plus près des enjeux et des acteurs et ainsi générer du compromis ;
piloter et coordonner l’action de manière efficace, fine et précise, en fonction des spécificités liées aux caractéristiques démographiques, climatiques ou industrielles de leur territoire ;
et ainsi démultiplier les impacts des efforts nationaux.
La France porte un discours très cohérent au niveau européen. Elle pousse beaucoup pour que les 27 avancent ensemble, avec des objectifs fermes et ambitieux. C’est important car la législation européenne a un impact direct sur les politiques nationales, à l’image des normes sur les véhicules qui, in fine, ont un effet sur les émissions en France. Mais il reste encore beaucoup à faire. La prochaine réforme de la Politique agricole commune ainsi qu’une évaluation plus fine et rigoureuse de l’impact climatique des politiques commerciales de l’Union seront notamment à suivre dans les prochains mois. Sans oublier la mise en oeuvre du Green New Deal, qui pourrait jouer le rôle d’accélérateur de la transition.
Comment évaluez-vous l’impact de la crise du Covid sur nos émissions ?
Nous estimons qu’elle a entraîné une baisse des émissions de 13 % en France par rapport à l’année précédente, sur la même période. Les deux tiers de cette baisse sont liés aux transports, et à la voiture en particulier. Ce n’est donc en rien une baisse structurelle et pérenne. Cependant :
à court terme, on voit que l’explosion des modes de transport actifs, et plus particulièrement de la pratique du vélo en centre-ville, peut être un début de réponse si la tendance se confirme dans le temps ;
à plus long terme, le plan de relance, en investissant massivement tout en exigeant des professionnels et industriels des contreparties claires et strictes, peut nous mettre sur la voie d’une mobilité décarbonnée.
Il y a une opportunité à saisir.
Quelles sont les erreurs à ne pas reproduire, par rapport à la réponse qui avait été apportée suite à la crise de 2008 ?
Aucun pays n’avait alors mis en place de vraie stratégie cohérente sur le climat. Il a manqué une dimension systémique. Mais il y a aussi eu des choses très positives. Par exemple, les investissements massifs, notamment de la Chine, des États-Unis et de l’Allemagne, dans les énergies renouvelables ont grandement contribué à les rendre compétitives. Avec à la clé des retombées économiques et des créations d’emplois importantes. C’est la preuve que les investissements dans les technologies bas carbone peuvent générer d’importants bénéfices économiques et sociaux, tout en participant à l’effort climatique. Il pourrait en être de même aujourd’hui avec le stockage, l’hydrogène, l’agriculture… Mais à envisager, cette fois-ci, dans le cadre d’une approche globale et cohérente.
Justement, au vu des premières annonces du gouvernement, pensez-vous que le Plan de relance va dans le bon sens ?
Le fait que l’environnement soit l’un des piliers du plan de relance est déjà un signal très positif. Cela montre qu’il est très important de reconstruire de manière cohérente avec les enjeux climatiques. En revanche, le soutien à l’aviation et l’automobile, en début de crise, ne nous a pas semblé être suffisamment assorti de conditions pour orienter ces secteurs vers une stratégie bas carbone. Cela a été un peu corrigé dans la deuxième tranche du plan de crise. Nous attendons maintenant plus de détails sur l’implémentation, le suivi, et ce qu’il va se passer concrètement en 2021. Il faudra impérativement mettre en place des mesures qui permettent d’inscrire les investissements des entreprises dans une vraie stratégie de long terme. Nous travaillons actuellement sur une analyse détaillée de ces différents points.
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