Interview d'Alexandre Mars, entrepreneur.
Interview parue dans le n°43 de Décisions durables
La crise du Covid marque-t-elle un avant et un après pour les
entreprises ?
Je pense que cette crise marque un avant et un après pour tout le monde, et c’est certainement le cas pour les entreprises. Avec la crise sanitaire est apparue la crise économique - l’une des plus dévastatrice du XXIe siècle. De nombreux secteurs ont été touchés, certains mêmes amputés. Je pense notamment à la restauration ou à l'hôtellerie. Malgré les difficultés, de nombreuses entreprises ont répondu avec un seul mot d’ordre :
la solidarité, et ont ainsi participé à l’effort collectif qui incombait . toute la société. Elles doivent aujourd’hui transformer cette solidarité spécifique au Covid-19 en une pratique durable. Et nous, citoyens, consommateurs et employés, nous aurons un rôle incontournable à jouer pour les encourager à aller en ce sens. Cette crise est simplement venue confirmer encore davantage ce que nous savions déjà : sans solidarité, le modèle sociétal actuel n’a aucune chance de survivre.
La prise en compte du bien commun sera donc incontournable pour l’entreprise de demain ?
Absolument. Aux raisons morales d’être une entreprise responsable, s’ajoute à présent un impératif économique. Les consommateurs ont changé, ils sont plus informés – les réseaux sociaux ont permis cet accès direct et illimité à l’information –, plus éduqués, plus à l’écoute de ce qui se passe autour d’eux. Ils votent avec leur carte bleue. Chacun – en fonction de son pouvoir d’achat – peut décider de soutenir les entreprises plus responsables, plus proches des considérations citoyennes, plus ancrées dans les problématiques qui nous touchent tous. Nous acceptons de moins en moins qu’une entreprise ne se soucie pas de son impact sur la société. Selon le récent Trust Barometer d’Edelman qui a sondé 12 000 personnes dans 12 pays, 50 % des Français et Françaises indiquent que le comportement des marques dans le contexte actuel influencera leurs achats par la suite. Cet indicateur révèle une tendance large, qui ne cesse de s’amplifier. Les entreprises qui n’ont pas compris que la société évolue en ce sens auront de plus en plus de difficulté à recruter, à vendre leurs produits et leurs services et à créer des liens avec leurs clients. S’ils ne s’adaptent pas, s’ils ne partagent pas, tôt ou tard ils disparaîtront. C’est le principe même du darwinisme économique.
Ne voyez-vous pas dans les actions que les entreprises ont mené pendant cette période une forme de "coronawashing" ?
Je pense sincèrement que la question du “coronawashing” est un faux débat. Arrêtons d’imaginer que les entreprises ne cherchent pas à avoir un impact positif. Le bien social ne va pas à l’encontre de la performance économique. Au contraire, les deux vont de pair, pour toutes les raisons que je viens de mentionner. Cette crise a vu naître une solidarité sans
précédent émanant des entreprises. C’est dans cet esprit que nous avons lancé “Tous pour tous”, une plateforme unique qui regroupe les initiatives solidaires menées par les
entreprises face . la crise sanitaire et économique partout en France et au-delà – quels que soient leur taille, leur secteur ou leur performance. L’objectif est de partager . grande échelle ces initiatives pour qu’un maximum d’acteurs puissent s’en inspirer, les multiplier et continuer à faire grandir le bel élan de solidarité dont nous sommes témoins depuis plusieurs mois. Aujourd’hui, nous avons recensé des initiatives venant des quatre coins de la France. Elles sont toutes différentes, ce qui démontre que la solidarité est protéiforme et peut s’adapter à tous les modèles économiques. Je pense aux boulangeries “Pain et Partage” à Marseille qui, malgré une perte de 90 % de leur activité, ont assuré au quotidien la fourniture de pain bio auprès d’environ 13 000 personnes en situation de précarité. Ou encore au géant de l’agro-alimentaire Kellogg’s, qui s’engage pour le développement d’un réseau d’épiceries solidaires qui offre à ses bénéficiaires la possibilité de faire leurs courses pour un coût entre 10 % et 30 % de la valeur marchande des produits. C’est merveilleux, et les exemples sont presque infinis.
En interne, la transition numérique s’est accélérée. Quel impact sur le rapport qu’entretiennent les entreprises avec leurs salariés ?
Je pense qu’il y a eu une prise de conscience que l’humain est essentiel et doit retrouver une place centrale au sein de l’entreprise. Et l’humain a besoin de sens. Particulièrement
dans ce contexte, nous avons tous besoin d’apporter notre pierre à l’édifice. Il est donc important de le prendre en compte pour voir de quelle manière on peut permettre à chacun de trouver sa place. Chaque entreprise sera différente et décidera pour elle-même la meilleure manière de gérer ses collaborateurs et les outils dont ils ont besoin pour réussir. Le bon management c’est aussi être à l’écoute de ses équipes et rester flexible pour trouver des solutions qui leur permettent de travailler dans les bonnes conditions tout en limitant le stress et l’anxiété provoqués par la situation actuelle. Gérer ces différentes problématiques a été un travail quotidien pendant le confinement et l’est encore aujourd’hui : mes équipes ont dû s’adapter au télétravail et à un nouveau rythme… Ce n’est pas toujours évident. Les attentes et les projets ne sont pas forcément les mêmes qu’avant, et c’est normal. En tout cas, ce qui est certain, c’est que la santé mentale et physique des équipes doit rester une priorité pour le management. Le bon travail suivra.
Le don a-t-il encore de l’avenir dans la crise économique qui s’annonce ?
La stratégie philanthropique d’Epic s’avère encore plus fondamentale en temps de crise. Dans des situations d’urgence, il devient vital pour les organisations sociales de recevoir
des dons non fléchés – c’est-à-dire de l’argent disponible quand et où les besoins immédiats l’exigent, sans conditions. C’est ce que nous avons mis en place chez Epic depuis sa création, basée sur des années d’expérience et de recherche. Ce type de financement est indispensable aux organisations sociales pour survivre dans les situations les plus difficiles.
Nous allons donc continuer à prôner cette approche et à soutenir les organisations sociales de notre portefeuille qui sont nombreuses à se mobiliser contre la crise. Pour ce faire, nous avons bien entendu besoin de ressources et de continuer à encourager un maximum d’entreprises à faire des dons. Même s’il n’est pas l’unique solution à tous les défis, le don aura toujours un rôle important à jouer. Je ne pense pas que cet élan de solidarité sera freiné avec la crise qui s’annonce. Au contraire, nombreuses sont les entreprises qui nous contactent pour nous dire qu’elles se sont rendu compte de l’importance du partage et de l’entraide. Elles veulent se mobiliser aujourd’hui, face à l’urgence, ainsi que dans la durée. Nous avons de quoi être optimistes.
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