- antoinemorlighem
La Base : point de ralliement de l'action climatique
Dernière mise à jour : 17 nov. 2020
La Base (comprendre Base d’Action Sociale et Écologique) a ouvert il y a 6 mois dans le 10e arrondissement de Paris, à proximité de la place de la République. Co-fondée par dix associations engagées dans la lutte écologique et sociale, elle a pour ambition de devenir le QG de la mobilisation citoyenne. À la fois lieu de rencontre, d’information et de débat, la Base veut jouer le rôle d’amplificateur et d’accélérateur d’un mouvement de revendication qui semble prendre forme ces derniers mois, notamment du côté de la jeunesse. Reportage.
Article publié dans le numéro 40 de Décisions durables.

Avec sa façade colorée et sa pancarte qui invite d’un « salut toi » orné de petits cœurs, à entrer, la Base dénote dans le décor de la rue Bichat. Quand c’est demandé si gentiment, on ne peut qu’obtempérer: je ne me fais pas prier. À l’intérieur je retrouve Clémence, chargée de la communication de la Base. Le rez-de-chaussée prend la forme d’un bar qui joue le rôle de trait d’union entre les associations et les gens du quartier, de lieu de travail pour les bénévoles et d’espace de réception pour les différents événements qui rythment la vie du lieu : projections, débats, conférences...
Le calme avant la tempête
Sur le chemin du bar où Clémence m’offre un café qu’elle s’excuse d’avance d’avoir raté, elle me montre ce qu’elle appelle «le mur collaboratif»: «on peut y signaler des choses que l’on recherche ou que l’on propose, on y retrouve une petite présentation des associations, ainsi que le calendrier des événements à venir. Il n’y a pas encore grand-chose pour le moment, mais c’est le calme avant la tempête de septembre », me promet-elle. « Prochainement, nous allons par exemple avoir un cycle sur 2-3 jours consacré à l’aviation, en résonance avec le sujet de la privatisation d’ADP. L’objectif est d’aborder le sujet avec des angles très variés pour intéresser un maximum de gens et créer des synergies de mobilisation et d’action. »
Convergence
Gabriel, d’Alternatiba, et Estelle, de FAIR[e], deux des associations fondatrices de la Base, nous rejoignent. Nous devions aller visiter les lieux, mais la conversation s’engage naturellement autour du bar. «Ce thème de l’aviation est un bon exemple », rebondit Gabriel. «Il y a plein de collectifs militants qui se mobilisent sur cette question, que ce soit contre l’extension d’un terminal, contre la ligne Charles-de-Gaulle Express, pour la préservation des terres agricoles alentours... Ils se mobilisent en silo, or leurs problématiques sont bien souvent transverses. C’est cette convergence que la Base a vocation à engendrer et accélérer. » Et cela vaut aussi pour les associations fondatrices de la Base, souligne Estelle : « En vivant ensemble, on approfondit nos relations, de nouvelles idées naissent... C’est une forme d’unité qui est enrichissante et qui nous rend plus fort, nous permet de faire bloc. »

Vecteur de mobilisation
Est-ce le fait d’avoir ce lieu commun de rassemblement ou l’essor pris ces derniers mois par la mobilisation climatique ? Toujours est-il que la Base semble doper les équipes des associations en leur donnant accès à un flux constant de bénévoles. Gabriel me confie en effet qu’Alternatiba a vu ses effectifs gonfler ces derniers mois :
l’équipe d’animation est passée de 15 à 40 personnes,
les membres actifs de 30 à 150,
et ils peuvent aujourd’hui mobiliser assez facilement 700 bénévoles contre 200 auparavant.
« Ces nouveaux membres ont des profils très variés, issus de différentes catégories socio-professionnelles », me précise-t-il, « même si les jeunes et les femmes sont particulièrement bien représentés. »
Radicalité face à l’urgence
Je fais noter à Estelle et Gabriel que le nom choisi pour ce lieu « La Base » pouvait revêtir une connotation militaire. Est-ce à l’image d’une lutte qui semble se tendre et se radicaliser face à l’urgence climatique qu’ils dénoncent ? « Si nous sommes radicaux ? Oui, absolument », tranche Gabriel, sans tourner autour du pot. « Mais radical ne veut pas dire violent. Nous prônons une action non-violente, mais radicale au sens étymologique en cela qu’elle s’attaque aux racines du problème : le système productiviste et capitaliste qui cherche des profits et des marges à l’infini dans un monde qui ne l’est pas. Pour remporter ce combat il nous faudra mener une action stratégique, systémique, et mobiliser des millions de personnes. La Base est un premier pas. » À mi-chemin entre le laboratoire et la rampe de lancement, en somme.
Camp climat
Exemple de cette approche radicale de la lutte qu’ils mènent, le camp climat organisé quelques jours auparavant à Kingersheim, en Alsace. Les participants y apprennent les techniques de base de mobilisation et d’action. Cela va de la rédaction d’un communiqué de presse à l’organisation logistique d’un événement, en passant par des formations sur les méthodes de l’action non-violente ou de la désobéissance civile. À la fin, une simulation d’action de masse est organisée, au cours de laquelle chacun met en pratique ce qu’il a appris les jours précédents. Alternatiba est l’un des organisateurs de cet événement. Gabriel a été surpris de son succès. « Il y avait 600 personnes il y a deux ans. Nous étions plus de 1 000 cette année, dont 50 % n’avaient jamais participé à des actions auparavant. » Prometteur pour les luttes à venir.
Alliance du jaune et du vert
Pour Gabriel et Estelle, combats pour la planète et pour la justice sociale sont les deux faces d’une même pièce. « On ne fera pas de monde écolo sans les classes populaires, les gilets jaunes l’ont montré. Et inversement, la justice sociale sans l’écologie ne mène nulle part, car ce seront in fine les plus pauvres qui seront le plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique», résume Gabriel. Estelle agrandit encore l’angle : « À la solidarité des causes j’ajouterais également la solidarité des peuples. Dans le commerce équitable il y a aussi la dimension transfrontière de ces enjeux. Il faut vraiment avoir une approche globale, consciente de la complexité du monde dans lequel on vit. »

La clim’: pas basique
Gabriel doit partir en réunion et je suis Clémence et Estelle dans les étages de la Base qui, en cette fin de mois d’août, sont un beau plaidoyer en eux- mêmes pour lutter contre le réchauffement climatique. Une température tropicale qui ne décourage pas les membres des différentes associations qui occupent la plupart des bureaux d’un grand open space au 1er étage. Le lieu peut également accueillir une trentaine de personnes supplémentaires en coworking, que ce soit des indépendants ou de petites associations ou entreprises. « Nous sommes simplement attentifs à qui les finance et à ce que leur activité soit conforme avec nos valeurs», précise Clémence.
Financement
Ces postes de coworking permettent à la Base de financer en partie son loyer et ses activités. À cela s’ajoutent les revenus du bar, les locations de salle pour des événements ou encore le crowdfunding. Le tout pour un budget de 400 000 euros, dont 200 000 pour le loyer, jusqu’au mois de mars 2020 où la Base devra trouver un nouveau port d’attache, le lieu actuel étant appelé à devenir un hôtel. Tous sont persuadés que, d’une manière ou d’une autre, l’aventure ne s’arrêtera pas là.
Idéal obligatoire
Au deuxième étage on trouve des salles de réunion ainsi qu’un atelier de confection de pancarte et de banderoles pour les manifestations qui sent encore le feutre et la colle. Fin de la visite, nous redescendons en bas où l’air est plus frais. Sur le chemin de la sortie j’interroge Estelle sur le procès en angélisme ou en idéalisme que l’on pourrait faire cyniquement aux mobilisations pour le climat et aux initiatives comme la Base. C’est un terme qu’elle assume parfaitement. "On en revient en quelque sorte à la radicalité dont nous parlions tout à l’heure. Je crois que c’est important aujourd’hui d’avoir un rêve, un phare à l’horizon. Je dirais même que cet idéal est aujourd’hui obligatoire au regard des défis qui sont devant nous. Il est à la mesure de l’urgence. Et pour faire de ce rêve une réalité, la mobilisation citoyenne est indispensable. Chacun doit prendre conscience qu’il peut être un contre-pouvoir. »
Bref, tout part de la base.