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De quoi l'écologie politique est-elle le nom ?
En quelques années, l’écologie s’est imposée comme un sujet de préoccupation central pour les Français et comme un enjeu politique, industriel et économique fort pour les gouvernements successifs. Promesse d’un monde plus propre et juste pour certains, d’autres y voient en revanche un danger pour leur liberté, leur pouvoir d’achat et le progrès technologique en général. À mesure que l’urgence climatique se fait de plus en plus pressante, les solutions sont en effet appelées à se radicaliser. Après avoir diffusé ses thématiques, l’écologie politique prend aujourd’hui le pouvoir. De quoi est-elle le nom ?
Réponse en trois questions.
Article paru dans Décisions durables n°44
1. Quel électorat
En tant que sujet politique à part entière, l’écologie, au moins dans l’acceptation de ses enjeux, semble être l’un des sujets les plus consensuels : tout le spectre politique l’intègre
à son discours et selon l’enquête Fractures françaises, réalisée par Ipsos Sopra-Steria, l’environnement est même devenu la première préoccupation des Français (52 %), devant l’avenir du système social (48 %) et le pouvoir d’achat (43 %).
Un sujet rassembleur
En février 2020, Destin Commun a publié une vaste étude sur la perception que les Français ont de l’écologie et du réchauffement climatique. 68 % estiment que c’est un sujet à même de rassembler les Français. À ce titre, « L’environnement fait figure d’exception dans la politique nationale française, dans un paysage politique où tout semble diviser : identité, immigration, islam, démocratie, travail… », notent les auteurs de l’étude. Ces derniers ont distingué 6 familles de Français :
Les « militants désabusés » (12 %) : diplômés, cosmopolites, sensibles aux inégalités, pessimistes, laïcs.
Les « stabilisateurs » (19 %) : modérés, installés, engagés, rationnels, compassionnels, ambivalents.
Les « libéraux optimistes » (11 %) : plus jeunes, individualistes, pragmatiques, confiants, libéraux.
Les « attentistes » (16 %) : plus jeunes, détachés, individualistes, incertains, désengagés.
Les « Laissés pour compte (22 %) : en colère, défiant, se sentant abandonnés et peu respectés, désengagés.
Les identitaires (20 %) : plus âgés, conservateurs, déclinistes, nativistes, intransigeants.
L’enquête démontre que la transition écologique et la cause environnementale, malgré quelques variations selon ces familles de Français, sont perçues de manière très positive. Et
surtout qu’elle ne divise pas tant les Français que certains voudraient bien l’entendre, en opposant économie et écologie ou en dénigrant ces sujets, comme étant une simple lubie de
bobos des grandes villes. « S’engager dans la transition écologique répond à un besoin : celui de nous projeter collectivement dans l’avenir », estiment les auteurs de l’étude. « Dans un pays qui s’inquiète de sa trajectoire économique, se perçoit comme en déclin et voit le monde extérieur comme une menace, la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement pourraient être à nouveau perçues comme une incertitude qui vient s’ajouter à d’autres. Or ce n’est pas le cas : même si ce chiffre reste un peu plus élevé chez les Attentistes (38 %) et chez les Laissés pour compte (34 %), les Français ne sont que 23 % à penser qu’il s’agit d’une menace pour l’emploi. Dans le récit collectif à écrire, la transition écologique ouvre donc des perspectives plus qu’elle n’en ferme. Elle n’est pas un objet de crispation, mais plutôt de projection, mêlant emploi et transition écologique. »

Une incarnation politique à gauche
Si le sujet de l’écologie est donc largement partagé et rassembleur dans toutes les couches de la population, son incarnation politique en France, par les Verts puis EELV, est nettement marquée à gauche. « Les municipales ont démontré qu’EELV avait largement récupéré l’électorat socialiste : les classes sociales aisées et cultivées des grandes agglomérations. Même si une lecture plus fine sur la pénétration de l’écologie dans
les plus petites villes laisse penser que ce n’est pas si simple, qu’une forme d’écologie indépendante est peut-être en train de prendre corps », note Daniel Boy, spécialiste de l’écologie politique (voir son interview plus loin). De fait, EELV n’a noué des alliances qu’avec le parti socialiste ou des partis de gauche au cours de ces élections, s’imposant encore un peu plus comme la tête de pont de cette partie de l’échiquier politique. S’il y avait encore, il y a quelques années, une ligne plus centriste, cohnbenditienne, force est de constater qu’elle n’a plus voix au chapitre.
2. Quel projet politique ?
La vague verte des municipales et les programmes des listes gagnantes permettent d’avoir un aperçu de ce que signifie concrètement l’écologie politique. Petit tour d’horizon des grandes tendances.
Une action forte sur le bâti
À Bordeaux, les nouveaux bâtiments devront être neutres en carbone ou à énergie positive.
Grenoble, Tours et Annecy visent la neutralité carbone.
Poitiers souhaite que l’ensemble du patrimoine municipal et intercommunal soit à énergie positive.
Une mobilité décarbonée
Besançon va dédier 2 millions d’euros par an au développement de pistes cyclables.
Lyon veut équiper gratuitement 10 000 jeunes de bicyclettes et inciter au télétravail un ou deux jours par semaine pour désengorger les transports publics.
Tours propose une aide de 400 euros à l’achat d’un vélo par foyer.
Végétalisation
La nouvelle maire de Strasbourg a lancé dès cet été un grand plan de végétalisation et de déminéralisation.
Bordeaux veut mettre en place une politique de zéro artificialisation des sols : seuls ceux déjà bétonnés seront constructibles.
Tours ambitionne de planter 30 000 arbres.
Lyon projette la création de 3 à 5 hectares de forêts urbaines.
Démocratie
Besançon va mettre en place un budget participatif direct ainsi qu’une assemblée citoyenne permanente concernant les grands chantiers et les politiques de la ville.
Économie et social
Besançon va instaurer un revenu minimum jeune.
La nouvelle maire de Poitiers veut soutenir la production alimentaire locale pour tendre vers l’autonomie alimentaire et interdire la construction de nouveaux centres commerciaux en périphérie.
Bordeaux, Lyon et Strasbourg veulent conditionner les subventions et commandes publiques à des critères écologiques.
La grande majorité des villes écologistes prévoient la création d’un Territoire Zéro Chômeur de longue durée (Voir DD32, p. 14)
3. Pourquoi sont-il verts de peur ?

Avec la montée en puissance de l’écologie politique, certains s’alarment : « Khmers verts », « Djihadistes verts », les noms d’oiseau fusent. À les entendre, l’écologie serait un danger pour notre démocratie, nos libertés et le progrès en général. Même la Convention citoyenne sur le climat en prend pour son grade. Décryptage de l’argumentaire antiécolo.
L’argument totalitaire
En juin 2019, dans une interview donnée au Figaro, Pascal Bruckner décrivait l’écologie comme étant « dans la situation du socialisme au XIXe siècle. Celui-ci, attentif aux misères de la classe ouvrière, s’est d’emblée divisé en deux camps : l’un démocratique, soucieux de pluralisme, l’autre autoritaire qui débouchera sur la révolution bolchevique et la fondation de l’URSS. De la même façon, l’écologie est à un tournant de son histoire : ou elle épouse la démocratisation des sociétés ou elle débouche sur un nouveau totalitarisme au nom du culte de Gaïa ». En clair, l’urgence climatique pourrait pousser l’écologie politique à prendre des
mesures si drastiques qu’elles nous priveraient de nos libertés de vivre, de consommer, de nous déplacer comme nous le souhaitons. C’est aussi ce qui se cache derrière le terme d’« écologie punitive » : nous serions réduits au rang d’enfants qui se sont mal comportés et
qui méritent un châtiment. C’est sans doute le lot de toute entreprise qui vise un bouleversement systémique radical de subir un procès en totalitarisme. Et si nous n’engageons pas maintenant les actions nécessaires pour une transition douce, c’est un
risque qui n’est pas à exclure tant les chocs et les crises vont s’intensifier. Mais cet argument totalitaire révèle surtout une forme de conservatisme fébrile qui tente de s’accrocher autant qu’il le peut au souvenir rassurant d’un monde qui n’est déjà plus.
L’argument anti-progrès
La 5G ? un gadget qui ne servira qu’à « regarder du porno dans l’ascenseur en HD », selon Eric Piolle, le maire EELV de Grenoble. De quoi faire une nouvelle fois bondir les détracteurs d’une écologie qui serait contre l’innovation technologique, alors même que cette dernière serait la solution miracle à la crise climatique. C’est un débat un peu caricatural : entre la croyance aveugle dans le Dieu Tech et les apôtres d’un retour à une vie moyenâgeuse, il y a un monde, comme en témoigne Ravi Nadjou (cf. p. 16 à 20). Et puis qui a dit que technologie et sobriété étaient forcément antinomiques ? Enfin, comme le rappelle Philippe Bihouix, l’argument technologique est pratique car il permet de ne pas agir concrètement sur ce qui est le plus difficile : nos modes de vie. « Les solutions sont socio-techniques : la transition passe par les usages, pas juste par les technologies. C’est l’erreur
que l’on fait aujourd’hui. »
L’argument religieux
L’écologie serait une nouvelle forme de fanatisme religieux, qui comme à l’époque du Christ, compte de nombreux prophètes de l’apocalypse. Une simple croyance dont Greta Thunberg serait une nouvelle Jeanne d’Arc qu'il faudrait mener manu militari sur le bûcher. Cet argument ne s’applique pas directement à l’écologie politique, mais à la nébuleuse des décroissants et autres collapsologues qui naviguent autour. Faire passer ses adversaires pour des fanatiques n’est pas nouveau. En revanche s’ériger en défenseur de la science et de la raison tout en portant un discours qui met à mal le consensus scientifique autour du
réchauffement climatique ne manque pas de sel.
L'écueil sociétal
Si l’écologie appelle sans conteste à un profond changement sociétal, dans nos comportements, nos modes de vie, son implantation à gauche de la gauche fait qu’elle compte en ses rangs des membres qui sont également là pour porter d’autres combats militants : contre l’autorité, pour les droits LGBT, pour l’immigration, une certaine forme de laïcité… Au risque de brouiller, dans la tête des électeurs, l’essentiel du message qu’elle veut porter. C’est le lot de tout mouvement jeune d’être hétéroclite, mais c’est sans doute aussi un écueil à court terme pour les scores électoraux des Verts, ainsi qu’une prise
supplémentaire donnée à leurs adversaires. Le temps de l’aggiornamento et de la clarification de la ligne du parti sur ces enjeux ne devra pas trop tarder s’il compte poursuivre sur sa lancée.
« Un consensus sur les enjeux,
une opposition frontale sur les moyens »
Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique.
Quelle place tiennent les enjeux écologiques pour les Français ?
Depuis les Européennes, on se rend compte que c’est vraiment un thème dominant. La question qui se pose est de savoir si les enjeux économiques de la crise qui s’annonce ne finiront pas par l’éclipser.
Comment analysez-vous les résultats, des écologistes lors de ces
municipales ?
On assiste sans aucun doute à une recomposition de la gauche. Pour la première fois, les listes d’union de la gauche ont des écologistes à leur tête. C’est nouveau, symboliquement très fort et cela a donné d’excellents résultats. On a beaucoup focalisé sur ces grandes villes à la population aisée, éduquée, autrefois très favorables au PS et qui ont basculé vers l’écologie, mais au final EELV ne fait que 5 % des suffrages, et même 2 % en taux de
participation des inscrits. C’est peu. En revanche, on constate dans les plus petites villes, à partir de 3 500 habitants, l’existence d’une écologie alternative, classée « divers » au même titre que divers droite ou divers gauche. Et elle fait des scores plutôt surprenants. Dans les villes entre 3500 et 9 000 habitants, elle ne gagne « que » 76 fois, mais elle représente 28 % des suffrages. De 9000 à 30 000 habitants, elle fait 17 %, soit autant qu’EELV. J’en tire deux conclusions : d’une part il est en train de naître une écologie diverse qui ne veut pas forcément s’aligner sur un clivage droite/gauche. D’autre part, tout seul, EELV n’aurait pas de maires ou presque. L’union avec la gauche s’est révélée très efficace.
Pensez-vous qu’à défaut d’avoir gagné complètement la bataille électorale, l’écologie a néanmoins remporté celle des idées ?
S’il est indéniable que l’écologie est devenue une thématique incontournable pour tous les partis, ce qui me frappe, ce sont les réactions parfois démesurées que cette victoire symbolique suscite, notamment à droite de l’échiquier politique. À écouter certains, nous ne sommes pas loin du retour des Soviets, d’un péril vert qui veut nous punir, nous empêcher de prendre l’avion et nous rationner en carbone comme on rationnait la population en temps de guerre. Même la Convention pour le climat, difficilement attaquable par son caractère collégial et citoyen, a déclenché des cris d’orfraie. Si tout
le monde s’entend sur les enjeux, il demeure un vrai désaccord sur les moyens.
Existe-t-il une écologie de droite ?
Il y a longtemps eu un courant écologiste au sein de la droite, comme l’incarnait par exemple Corinne Lepage, mais il a presque disparu. À l’extrême-droite on voit que le RN est en train d’essayer de bâtir une vision de l’écologie au rabais, centrée sur le localisme et la défense des animaux. Mais on voit bien que derrière la notion de circuit court des denrées et des produits, c’est la fin de la circulation transfrontalière des humains qu’il vise. La ficelle est un peu grosse.
N’y a-t-il pas un risque pour EELV (et pour l’écologie en général), à devenir un « parti de bobos », déconnecté de la réalité des classes les plus défavorisées ?
Il est vrai que le coeur électoral des Verts est constitué essentiellement de catégories aisées, avec un capital culturel élevé. Pour l’instant, EELV n’arrive pas à dépasser cela, à avoir
une emprise plus importante sur les couches moyennes. On l’a vu très clairement dans les résultats des municipales : il y a une corrélation négative assez nette entre le taux de chômage et le vote écolo. En clair, plus il y a de chômage, moins l’écologie performe. Peu étonnant étant donné quele discours politique ne cesse, depuis des décennies, d’opposer les deux. Face à des structures mentales aussi ancrées, les discours ne suffisent pas. Les grandes villes que les écologistes ont conquises peuvent être, à ce titre, des laboratoires intéressants.
L’écologie peut-elle créer la surprise en 2022 ?
Les Régionales de 2021 peuvent être un marchepied très puissant. C’est en outre un scrutin plutôt favorable aux écologistes, assez souple, avec des possibilités de fusion, d’alliance… Ce
sera l’occasion de voir si le succès de l’alliance entre les Verts et la gauche perdure ou s’amplifie. Mais l’écologie ne pourra pas gagner seule. L’attitude de Mélenchon sera déterminante. S’il met son égo de côté et que la gauche arrive rassemblée en 2022, Macron
aura du souci à se faire…
Les initiatives telles que la Convention citoyenne pour le climat sont-elles de nature à faire avancer la cause de l’écologie dans l’opinion et nos politiques publiques ?
C’est une innovation démocratique et politique réelle. Mais le point d’achoppement,
c’est toujours la mise en application. On l’a vu avec le Grenelle ou avec la Loi de Transition
Énergétique : les décrets d’applications sont très longs, les effets concrets, directs, peu visibles. Je crains que ce ne soit déceptif pour les participants de la Convention. L’outil référendaire peut également être intéressant, sous la forme de 5 ou 6 grandes orientations à cocher. Mais ce serait surtout un bon moyen pour Emmanuel Macron de mettre les
écologistes, et EELV en particulier, dans l’embarras.
