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Le Revenu de Transition Écologique fait Tilt

Dernière mise à jour : 19 nov. 2020


Conceptualisé par Sophie Swaton, philosophe et économiste, Maître de conférence à l’Université de Lausanne et présidente de la Fondation Suisse d’Utilité Publique ZOEIN, le Revenu de Transition Écologique (RTE) est un dispositif qui vise à encourager la transition écologique et sociale, au plus près des territoires. Embryon d’un nouveau modèle économique en phase avec les enjeux de notre temps, il doit permettre de réconcilier « fin du monde » et « fin du mois », de bâtir un nouveau paradigme plus résilient pour nos sociétés dont la vulnérabilité a été crûment mise à jour ces derniers mois. Les premières expérimentations sont en cours en France et en Suisse. Focus sur Grande-Synthe où la Coopérative de Transition Écologique (CTE) qui porte le RTE a été lancée en mai 2019 . 

 

Article à lire également sur le site de la Revue de la Pensée écologique

 

De nombreuses activités à vocation sociale et écologique se développent aujourd’hui dans nos territoires, dans des domaines variés : agriculture, alimentation, mobilité, consommation solidaire et durable, services de proximité aux populations, « zéro déchet », low tech, etc. Pourtant, ces activités sont peu ou pas valorisées, et restent souvent isolées. En outre, les porteurs de projets peinent à vivre correctement de leurs activités et plus particulièrement à se dégager un salaire en phase d’amorçage. C’est ce maillon manquant pour une réelle transition écologique et solidaire que le Revenu de Transition Écologique entend combler. À la fois droit à un revenu et à la formation, il a vocation à : 

  • accompagner les individus et entreprises dans la transition de leur activité, 

  • sortir les plus précaires et chômeurs de longue durée de l’exclusion en en faisant des acteurs de la transformation écologique et sociale de leur territoire, 

  • générer des activités non délocalisables, qui répondent au plus près des besoins et spécificités de chaque collectivité, 

  • favoriser les synergies entre les acteurs. 

In vivo

Pour que le RTE puisse prendre racine et vie, Sophie Swaton a imaginé les Coopératives de Transition Écologique (CTE). Véritables outils opérationnels d’expérimentation, elles ont 3 fonctions principales : 

  • financière : versement d’une aide à l’investissement de départ et mise en place d’une garantie de revenu conditionné ; 

  • d’accompagnement : outillage des porteurs de projets, formation, suivi dans leur développement… ; 

  • et de mutualisation des coûts, pratiques et connaissances.


À Grande-Synthe, cette Coopérative de transition écologique a été baptisée TILT, comme un appel à réveiller les consciences. Elle prend la forme d’une Société Coopérative d’intérêt Collectif (SCIC), sans but lucratif, à vocation Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE). Ses membres ont le statut d’entrepreneurs-salariés créé par la loi sur l’Économie sociale et solidaire de 2014. 12% de leur marge brute est réinvestie dans la coopérative pour contribuer aux frais communs, mais aussi financer les formations ou RTE des autres membres. « Il n’y a pas un modèle fixe ou figé de CTE. Nous avons fait ce choix car il correspondait le mieux à notre philosophie et au modèle économique que nous voulions bâtir mais d’autres formes sont possibles », tient à préciser Jean-Christophe Lipovac directeur de l’association ZOEIN France qui pilote l’initiative (voir son inteview plus loin). Dans un premier temps, les porteurs de projet signent un Contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE). Une fois leur activité pérennisée, ils intègrent la coopérative en tant qu’entrepreneurs-salariés. L’entité bénéficie de subventions de la Région Hauts-de-France, de l’ADEME, de la Communauté urbaine de Dunkerque ou encore de la Fondation ZOEIN, mais l’objectif est bien d’arriver à l’autofinancement. Pour Jean-Christophe Lipovac, « il faudrait entre quarante et cinquante entrepreneurs-salariés pour arriver à cet équilibre ». Il espère signer dans un premier temps 15 contrats en 2020 puis 20 en 2021. Une initiative salutaire, car malgré une politique ambitieuse en matière de transition écologique et citoyenne Grande-Synthe compte toujours 31% de sa population sous le seuil de pauvreté et un taux de chômage de 29%, qui grimpe à 40% chez les moins de 25 ans. « La vraie question c’est : en quoi la politique de transition peut être un levier de création d’emploi »,  souligne Jean-Christophe Lipovac qui a collaboré auparavant aux côtés de Damien Carême à la Mairie. « Le RTE peut être cette brique manquante pour une transition inclusive où chacun puisse prendre sa part. »


Synergies

Au-delà de l’aspect financier, les CTE ont également vocation à jouer le rôle de plateforme, d’interface avec l’ensemble des acteurs du territoire. Ainsi TILT compte parmi ses membres fondateurs : la ville de Grande-Synthe, l’Association ZOEIN France, la Maison de l’initiative de Grande-Synthe, l’URSCOP Hauts-de-France ou encore Isabelle Robert, chercheuse et maître de conférence en économie à l’Université de Lille qui assurera plus spécifiquement le volet « Recherche » du dispositif. Mais l’objectif est d’aller bien plus loin et de constituer une plateforme solidaire et démocratique, en réseau, qui mutualise toutes les volontés, bonnes pratiques, acteurs et savoir-faire pour construire un nouveau modèle économique durable, citoyen et résilient. 

 

« Les premiers de cordée de la transition écologique des territoires »

3 questions à Jean-Christophe Lipovac, directeur ZOEIN France, en charge de l’expérimentation de Grande-Synthe. 


Quelle est la genèse de cette expérimentation ? 

Le projet est né sous l’impulsion de l’ancien Maire de Grande-Synthe, Damien Carême. Il s’est concrétisé il y a tout juste un an. Mon travail jusqu’ici a consisté à mettre un place un consortium d’acteurs (collectivités, associations locales, acteurs de l’économie sociale et solidaire…), à développer des partenariat et écrire les statuts. Nous étions prêts à accueillir nos premiers porteurs de projets en février-mars 2020, mais la crise du Covid a retardé notre lancement opérationnel. Nous avons finalement signé le premier contrat le 18 mai dernier. 


Comment cela fonctionne concrètement ? 

Le Revenu de Transition Écologique se décline en trois formes : 

  1.  le « RTE investissement ». Il s’agit de débloquer des fonds, sous la forme de dons, d’aides en nature ou de prêts remboursables, pour aider les porteurs de projets à lancer leur activité. Par exemple, Nicolas (voir portraits de citoyens en transition ci-dessous), notre premier contrat, voulait lancer une activité de réparation de vélo à domicile. Pour se déplacer, il avait besoin d’un vélo cargo, mais cela coûte 4 000 euros. Nous avons alors signé une convention avec une association d’épargne solidaire locale, le Club Cigales des Hauts-de-France, qui lui a débloqué 1500 €. Des discussions sont en cours pour faire de cette association un partenaire plein et entier de TILT. Nous sommes également en discussion avec un habitant de Grande-Synthe qui voudrait lancer une activité de compostage semi-industrielle en récupérant les déchets verts des nombreux jardins en pieds d’immeubles et maraîchages de la ville. Il lui faudrait un terrain pour développer cette activité. Nous sommes en discussion avec la mairie pour voir si elle pourrait en mettre un à disposition. 

  2. Le « RTE formation ». Nous avons par exemple une personne qui souhaite se lancer dans une activité de cantine solidaire mais qui a besoin d’une formation hygiène/sécurité. Quand les organismes traditionnels ne prennent pas en charge ce type de formation, le RTE peut s’y substituer. La CTE a vocation à être une sorte d’Université populaire de ce modèle économique soutenable que nous voulons bâtir. 

  3. Le « RTE garantie de revenu/de salaire ». C’est un volet qui ne pourra être actionné qu’après avoir atteint une masse critique d’entrepreneurs-salariés. On pourrait alors décider collectivement d’un niveau de revenus en dessous duquel le RTE se déclenche pour soutenir les salaires des membres de la coopérative sur un temps déterminé. Quand une personne développe son activité, les revenus peuvent être en dents de scie, prendre du temps à se pérenniser. Et puis les activités que nous cherchons à développer sont, par nature, peu ou pas rentables, même si elles ont un impact positif incontestable sur la vie locale. Le RTE pourrait servir de complément de revenu temporaire. Mais la stratégie et les paramètres seront à définir avec les sociétaires. D’ici 4-5 ans, j’espère que nous pourrons financer 30% de RTE au sein de la coopérative. 

Cette nouvelle approche peut-elle être un facteur de résilience pour les territoires ? 

Parfaitement. Nous sommes dans une logique de relocalisation de l’économie, avec des entrepreneurs dont les activités sont profondément ancrées dans leur territoire. C’est un réseau de solidarité économique et sociale que nous essayons de mettre en place afin de construire de nouvelles formes de résilience par des liens de confiance. Avec les collectivités, associations, entreprises et habitants, nous bâtissons des écosystèmes qui ont vocation à grandir et se démultiplier pour créer de nouvelles solidarités. Il y a encore de la pédagogie à faire, nous devons faire connaître notre projet au plus grand nombre. Mais les premiers retours sur le terrain sont enthousiastes. Il y avait une attente. À chacun d’entre nous, à présent, de sauter le pas. Le chemin se dessine à mesure que nous marchons et le champ des possibles est infini. Nous sommes les premiers de cordée de la transition écologique des territoires.  

 

Portraits de citoyens en transition


Nicolas, ex-informaticien, 42 ans

Nicolas a été le premier contrat signé par TILT. Après une carrière dans l’informatique, il a eu envie de se lancer dans une activité qui ait du sens. Il a donc décidé de créer L’Échappée, une entreprise de réparation et d’entretien de vélo. Nicolas développe également, en parallèle :  

  • des ateliers de formation à de sensibilisation à la pratique du vélo, notamment auprès des entreprises ; 

  • un service de livraison à vélo pour les commerces locaux. 

Pour cela, il est en train de créer une plateforme qui lui permet de mettre à profit sa première activité professionnelle. « Nous encourageons beaucoup les porteurs de projets à diversifier leur activité le plus possible pour avoir des relais de revenus quand l’une se fait plus calme », précise Jean-Christophe Lipovac. Mais le projet est bien dans l’air du temps et a connu un démarrage fulgurant. TILT l’accompagne dans le développement de ces différentes activités en tâchant notamment de nouer des liens avec les commerces, entreprises ou services similaires qui se sont développés dans la région. 

Nicolas n’a pas créé à proprement parler « son » entreprise : il bénéficie de l’hébergement juridique de la Coopérative TILT – Coopérative de la Transition Ecologique pour tester son activité. Et demain, il pourra en devenir « entrepreneur salarié et associé ». Dès aujourd’hui, la Coopérative Tilt lui apporte conseils et financement dans le cadre du lancement de son activité. Un « Revenu de Transition Ecologique (RTE) – Investissement »vient compléter l’avance remboursable que lui ont octroyé deux Clubs de finances citoyennes et solidaires (les Clubs Cigales du Dunkerquois) – par ailleurs, sociétaires de la Coopérative – afin de contribuer à l’achat d’équipements.


Laetitia, ex-développeuse informatique, 35 ans

Laetitia a enfin réalisé son « rêve d’enfance » en créant son entreprise d’illustration et d’ateliers créatifs autour de la connaissance du patrimoine et de la biodiversité locale. Et quel meilleur endroit que Grande-Synthe, première capitale française de la biodiversité pour cela ! Laetitia souhaiterait également développer une activité autour du livre et voudrait commencer à écrire de petits contes et histoires sur ses thématiques de prédilection. « Nous sommes en train de voir avec elle si nous pouvons déclencher un RTE formation pour lui donner les bases en story-telling et techniques de narration », souligne Jean-Christophe Lipovac. 


Angélique, association éco-responsable, 30 ans

Angélique est la fondatrice de l’association Chrysalides qui cherche à structurer, sur le territoire du Dunkerquois, un réseau d’habitants éco-responsables et solidaires. L’idée : favoriser et promouvoir le réemploi, le don ou l’emprunt. À ce jour, près de 1 200 membres ont rejoint l’initiative à travers la « communauté de l’effet papillon ». Un succès qui pousse aujourd’hui Angélique Févin, à développer sa propre activité “porteuse de sens” ! La jeune trentenaire, habitante de Dunkerque, a ainsi quitté volontairement son emploi en CDI pour se lancer dans la création de son emploi plus en adéquation avec ses valeurs, ses convictions et sa ferme intention de construire le “monde de demain” ! Son emploi au sein de l’association Chrysalides est financé depuis le mois de mai par la Fondation du Dunkerquois Solidaire. Dans le cadre d’une convention entre la Fondation du Dunkerquois Solidaire, la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE), et la Coopérative TILT, Angélique bénéficie d’un accompagnement de la Coopérative pour construire le modèle économique de son activité et pérenniser son emploi. La perspective d’ici un an est qu’Angélique développe une activité entrepreneuriale et rejoigne la coopérative en bénéficiant du statut d’entrepreneur-salarié chez TILT. « Elle n’entrait pas vraiment dans nos cases », reconnaît Jean-Christophe Lipovac, « puisqu’elle bénéficiait déjà d’un accompagnement financier. Mais le cas d’Angélique est un bon exemple, à la fois du processus itératif de notre développement et des nouveaux partenariats que nous sommes capables de tisser avec d’autres organismes pour aller plus loin ensemble. »

 

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